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La transmission de la responsabilité pénale de la société absorbée à l’absorbante : la Chambre criminelle de la Cour de cassation parachève son revirement de 2020

La transmission de la responsabilité pénale de la société absorbée à l’absorbante : la Chambre criminelle de la Cour de cassation parachève son revirement de 2020

Publié le : 04/07/2024 04 juillet juil. 07 2024

Le 22 mai 2024, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé la condamnation d’une SARL absorbante, pour une infraction commise par une SARL absorbée. 

En l’espèce, le Tribunal correctionnel avait condamné, le 30 juin 2021, trois sociétés et leur gérant pour diverses infractions au droit de l’urbanisme liées à l’exploitation d’un camping. Les prévenus et le ministère public avaient relevé appel de cette décision, tandis qu’une des sociétés avait fait l’objet d’une fusion-absorption après la décision de première instance, mais avant que la cour d’appel ne se prononce.

Traditionnellement, la Chambre criminelle de la Cour de cassation estimait que la société absorbante ne pouvait être tenue pénalement responsable des actes perpétrés par la société absorbée avant l’opération de fusion-absorption (cf. notamment Cass. crim du 25 octobre 2016, pourvoi n°16-80.366).

Toutefois, notamment sous l’influence du droit communautaire, la Chambre criminelle de la Cour de cassation avait renversé cette jurisprudence de principe, en considérant qu’à la suite d’une opération de fusion-absorption, une société par actions absorbante pouvait être condamnée pénalement à une amende ou à une confiscation, pour une infraction commise par la société absorbée (Cass. crim du 25 novembre 2020, n°18-86.955, voir article sur notre site).

Avant ce revirement de jurisprudence, dont Majoris Avocats est à l’origine, représentant les intérêts de la société Kering, partie civile dans cette procédure, les poursuites pénales dirigées contre une personne morale prenaient fin par l’extinction de l’action publique lorsque l’entité était dissoute, en raison de l’opération de fusion-absorption et ce, sur le fondement d’une assimilation totale des personnes morales avec les personnes physiques, dont le décès entraîne l’arrêt des poursuites pénales. Par ailleurs, la Chambre criminelle considérait que l’article 121-1 du Code pénal, qui dispose que « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait » empêchait toute poursuite à l’encontre de la société absorbante du fait des agissements de l’absorbée.

Nous avions souligné qu’en ne visant que les sociétés soumises à la directive n° 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978, à savoir les sociétés par actions, la Chambre criminelle instituait de facto deux régimes de responsabilité opposés, selon la forme sociale des sociétés impliquées et nous appelions de nos vœux un élargissement de cette nouvelle règle à l’ensemble des opérations de fusion-absorption, quelle que soit la forme sociale des sociétés parties à l’opération.

C’est désormais chose faite et l’on ne peut que s’en féliciter !

Alors que la Cour d’appel avait retenu à tort pour fonder sa décision que les sociétés à responsabilité limitée entraient dans le champ d’application de la directive du 9 octobre 1978 susvisée, la Chambre criminelle fonde sa décision sur « la continuité économique et fonctionnelle de la personne morale [qui] conduit à ne pas considérer la société absorbante comme étant distincte de la société absorbée, permettant que la première soit condamnée pénalement pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la seconde avant l’opération de fusion-absorption ».

Cette motivation, qui se fonde sur la nature et les effets juridiques de l’opération de fusion-absorption, amène à considérer que le revirement de jurisprudence entamé par l’arrêt du 25 novembre 2020 est désormais achevé, en tout cas, s’agissant de la forme sociale des sociétés parties à l’opération. Nous formulons toutefois une réserve sur la motivation. En effet, afin de lever toute incertitude, la Chambre criminelle aurait été bien inspirée de viser l’article 1844-4 du Code civil qui traite de la fusion-absorption de sociétés, quelle que soit leur forme, au lieu de se référer uniquement à l’article L.236-3 du Code de commerce applicable aux sociétés à responsabilité limitée.

La Chambre criminelle précise également que les sociétés absorbantes encourent au titre de la transmission de la responsabilité pénale de l’absorbée, une peine d’amende ou de confiscation, sans que cette limitation ne soit justifiée. Il convient de rappeler à cet égard qu’il résulte des termes de l’arrêt du 25 novembre 2020, qu’en cas de fraude, la société absorbante peut se voir infliger « toute peine encourue ».

Enfin, la Cour décide que ce nouveau revirement de jurisprudence s’applique rétroactivement pour toutes les fusions-absorptions réalisées après le 25 novembre 2020, puisque selon elle, ce revirement était prévisible depuis cette date. Nous avions critiqué cette décision en considérant dans notre article du 7 janvier 2021 qu’en réalité, le revirement alors opéré était prévisible depuis l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 5 mars 2015 (n°C-343/13).

En fondant sa décision sur un motif plus général, la Chambre criminelle de la Cour de cassation consacre donc la généralisation du principe de responsabilité pénale de la société absorbante pour les fautes commises par la société absorbée et a ainsi fait œuvre de clarification et de simplification.

Arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 22 mai 2024, n°23-83.180

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